De nombreuses raisons poussent La Poste à faire évoluer les missions qui ont jusqu’ici été les siennes, et même à réfléchir sur la mise en place de nouvelles activités afin de compenser l’inéluctable diminution du volume du courrier traditionnel dont elle a la charge. Tout l’enjeu est de bien penser et encadrer ces futures évolutions, de s’engager pleinement sur ces nouveaux secteurs d’activité et de se donner réellement les moyens d’y parvenir. Un enjeu à la taille de l’entreprise qui, en toute logique, va principalement être porté par les acteurs de ces nouveaux métiers : les factrices et les facteurs.
Un contexte fortement anxiogène !
- Le volume des courriers échangés par voie postale continue de décroître
Pour le courrier traditionnel, concurrencé par les médias électroniques, 2016 a encore été une mauvaise année. Le chiffre d’affaires du courrier a baissé de 2 % et représente désormais moins de 40 % de l’activité postale. La poursuite de la baisse des volumes
(- 5,2 %) n’a été que partiellement compensée par la hausse du prix du timbre, par la croissance de l’international et par le développement des services de proximité.
- Activités rentables et concurrence exacerbée
Le commerce en ligne, qui monte en puissance, entraîne dans son sillage le marché du colis qui attise bien des convoitises. La Poste reste le leader du secteur en France, mais est cependant défiée par d’autres entreprises. Dans l’Union européenne, où La Poste a
de solides positions, la concurrence des trois géants du secteur (UPS, FedEX et DHL) risque de se faire de plus en plus forte. Et la quatrième directive postale européenne en préparation pourrait encore affaiblir le secteur. (cf. la rubrique sans frontières.)
- Quid de la responsabilité de l’État actionnaire ?
Pour donner un second souffle à La Poste, l’État actionnaire doit être plus volontariste. Il doit accompagner La Poste sur des projets innovants pour que l’entreprise engage une nouvelle vie dans le monde numérique.
Si La Poste est encore à ce jour considérée comme un pilier du service public en France, l’État actionnaire doit lui donner les moyens nécessaires et assurer l’égalité de traitement des citoyens sur tout le territoire.
Ceci est d’autant plus vrai que se négocie actuellement le contrat d’entreprise 2018-2022 entre l’État et La Poste.
- La Poste n’est pas assez offensive !
Pour FO, il faut se donner les moyens pour que La Poste devienne une entreprise d’intermédiation sociale et spécialisée dans le service à la personne. Il existe des pistes comme le service «Veillez sur mes parents», mais, pour l’instant, ces activités sont soit trop marginales, soit trop éloignées de celles du métier des facteurs.
Certains parlent de proximité humaine…
« La Poste va devenir en 2020 la première entreprise de proximité humaine de [France]. » (P. Wahl, PDG du groupe La Poste)
« La Poste est un réseau social, mais avec de vrais gens ! » (N. Collin, DG Adjointe en charge de la communication)
« Notre ambition est d’être le premier opérateur de service de proximité humaine autour du domicile. » (P. Dorge, DG Adjoint en charge de la Branche Services-Courrier-Colis)
Tous ces éléments de langage semblent un peu flous. « Proximité humaine », cela aurait pu être le titre d’un roman de l’auteur sulfureux Michel Houellebecq. Il n’en n’est rien ! Si ce n’est pas assez clair, la proximité humaine indique, en deux mots, la stratégie de La Poste, aussi bien dans les médias que dans les éléments de langage des responsables de l’entreprise et que dans son plan stratégique dénommé ambitieusement « La Poste 2020 : conquérir l’avenir ».
…où le facteur bavardait avec les usagers, où les guichetiers remplissaient les remises de chèques des usagers… La « proximité humaine » était déjà dans l’ADN de tous les postiers. Cette proximité humaine nouvelle serait plutôt le marqueur d’une contractualisation de pratiques naguère informelles entre le facteur et l’usager. Le « lien de confiance » entre les postiers et leurs clients semble être la « valeur ajoutée » du groupe La Poste.
- Un nouveau service fortement médiatisé
Dernier exemple en date: « Veillez sur mes parents ». Contre une redevance mensuelle, le facteur passe voir si les parents âgés et éloignés de leurs enfants vont bien lors d’une ou plusieurs visites hebdomadaires… Temps moyen estimé de la visite: sept minutes ! Car, à La Poste, tout est minuté, monétisé, robotisé…
- Des activités qui interrogent l’identité des facteurs
FO reste méfiante quand on sort du métier de facteur, par exemple lorsqu’il s’agit de portage de repas (comme «Savourez chez vous »). Avec ce service, des conditions d’hygiène spécifiques et surtout le respect de la chaîne du froid doivent être intégrés.
De même, FO s’oppose à certaines expérimentations (telles la récupération de plastiques ou le portage de pain voire de fleurs) et estime que ces expériences doivent faire évoluer naturellement le métier du facteur, comme le font par exemple le portage de médicaments en partenariat avec des pharmacies ou la vigie urbaine (c’est-à-dire le signalement de la dégradation des trottoirs d’une ville ou celui de distributeurs automatiques de billets).
Le métier du facteur ne doit pas être dénaturé, que ce soit en termes de conditions de travail ou d’identité et d’image, au risque d’y perdre sa crédibilité et ce qui fait de lui le 2e personnage public préféré des Français.
Des conditions essentielles pour que La Poste réussisse sa transformation !
- Vers un contrat de confiance ?
Pour FO, ce contrat doit aussi exister entre La Poste et les facteurs. En France, il y a environ 80000 facteurs et « il n’est de richesses que d’hommes ». Notamment, dans une entreprise de main-d’oeuvre telle que La Poste. Celle-ci doit rétribuer comme il se doit les nouvelles missions proposées aux factrices et aux facteurs.
- « Simplifier la vie »… des facteurs et des factrices aussi !
Conditions de travail, outils, procédures, relation avec l’encadrement… Tous ces éléments doivent être simplifiés pour motiver les facteurs et leur donner l’envie de s’investir humainement dans ces nouvelles activités.
Le succès de ces nouvelles missions confiées aux facteurs dépendra du temps alloué par La Poste pour les mener à bien. Responsabilisation rime avec liberté d’organisation et non pas optimisation…
- Pour FO, l’emploi reste la priorité !
Des formations adaptées et de qualité auront pour objectif de maintenir dans l’emploi toutes les factrices et tous les facteurs. Les recrutements doivent s’amplifier. Dans le même temps, des mesures d’âge doivent permettre aux facteurs seniors de transmettre leur savoir dans les meilleures conditions.
Une expérimentation des nouvelles activités des facteurs
Dans les Hauts-de-Seine, la Direction expérimente la création d’une équipe de Facteurs Services Expert (FSE) sur une durée de six mois. Un Responsable Opérationnel (ROP) encadre six FSE. Ces facteurs auront le grade II-2, voire II-3. Leur travail est segmenté en trois zones géographiques (le nord, le centre et le sud du département).
Ces services sont classifiés selon quatre niveaux d’expertise :
- niveau 1: la remise commentée (le facteur lit un argumentaire lors de la remise d’un pli publicitaire),
- niveau 2: la dénomination et la numérotation des voies (notamment lorsque des habitations sont construites) et la visite dans le cadre du projet «Veillez sur mes parents »,
- niveau 3: le premier rendez-vous pour Veillez sur mes parents et l’installation d’ARDOIZ, une tablette destinée aux seniors,
- niveau 4: la conception de diagnostics (nécessaires lors de la vente d’un bien immobilier).
Comme FO l’avait demandé, cette équipe ne fait pas de distribution de courrier sur les établissements où ils seront pré-affectés à cause du climat social ou d’un taux d’absentéisme élevé. Il existe aussi une garantie de retour pour les collègues au cas où l’expérimentation ne donne pas satisfaction !
Facteurs-guichetiers : le retour
Les premiers facteurs-guichetiers ont été mis en place en août 2013. Ce n’est qu’en avril 2015 que sera validé et signé un protocole de déploiement de ce dispositif. Courant 2016, FO dénonçait des conditions inqualifiables et réclamait l’ouverture de négociations.
Si aujourd’hui il y a de l’amélioration quant à la mise en place de cette fonction, le protocole n’est pas respecté dans sa globalité sur l’ensemble du territoire. Fin septembre 2017, 697 facteursguichetiers étaient en fonction pour un objectif de 1 000 à fin 2017. 496 d’entre eux ont été promu II-1, ce qui correspond, pour un chargé de clientèle, au niveau d’entrée permettant aux agents issus du Courrier/Colis d’y accéder. Notre première revendication est que les facteurs guichetiers bénéficient d’un parcours valorisant.
L’accord National sur « l’amélioration des conditions de travail et sur l’évolution des métiers de la distribution et des services des Facteurs…» signé en février 2017 prévoit l’ouverture de chantiers dont celui de la mutualisation des fonctions avec le Réseau. Il est précisé que « La Direction de La Poste s’engage sur une concertation commune Réseau Courrier, pilotée par les deux métiers ». Nous avons demandé des documents communs aux deux métiers ainsi que des instances communes pour créer une réelle
synergie entre les deux métiers. Nous attendons de ce chantier un rappel des principes de mise en place et des actions concrètes. Si nous avons obtenu le versement de la prime commerciale des chargés de clientèle à hauteur de 0,49% pour les facteurs-guichetiers à partir de décembre 2017 ainsi que le versement du commissionnement pour leur contribution aux résultats des objectifs du Secteur, nos actions se poursuivent pour obtenir la tenue de l’ensemble de la formation avant la prise de fonction et une intégration à celle concernant les incivilités.
La Poste ne se donne pas les moyens réels pour la réussite de ce métier et nous ne parlons pas que des facteurs-guichetiers titulaires mais aussi des remplaçants, les grands oubliés…
La silver economy au coeur de la stratégie de la poste
Veillez sur mes parents !
Au premier abord, ce service qui est au coeur de la silver economy peut être intéressant. Mais avant le chronométrage des tournées, les facteurs veillaient sur les seniors gratuitement. Pour FO, c’est le financement qui pose problème. C’est à l’État d’assurer l’égalité de traitement entre tous les citoyens, notamment les seniors, pour faire face au vieillissement de la population. Comment cette expérimentation se déroule-t-elle sur le terrain? C’est la question que tous les concernés peuvent se poser…
Nous avons interrogé un Facteur Services Expert (FSE) qui gère, pour l’instant, un seul contrat. C’est lui qui fait la visite chez la personne âgée, deux fois par semaine: le lundi et le jeudi. Il reste en moyenne 10 à 15 minutes en fonction des disponibilités. Cette mission demande voire exige de l’implication et le temps octroyé à la personne âgée dépasse largement la moyenne utilisée par la Direction, qui l’évalue à 7 minutes. Cette nouvelle mission si elle est trop minutée pourrait donner une mauvaise image de La Poste. Dans le cadre de ce projet, la formation est un levier à reconsidérer. Effectivement, pour l’instant, les FSE ne se forment que par e-learning. 20 minutes ne peuvent pas suffire pour former aux problématiques du grand âge. Autre contrainte, en cas de gestion de plusieurs contrats, ce n’est plus vivable! De plus, Factéo n’est pas opérationnel pour les personnes âgées. Certains seniors n’arrivent pas à signer sur ce smartphone.
Pour FO :
- La formation devrait être approfondie en présence de professionnels comme des psychologues, des gérontologues, et d’autres spécialistes.
- Il faut impérativement plafonner le nombre de contrats «Veillez sur mes parents » par FSE, en termes de temps et de charge de travail.
- Les outils doivent être adaptés aux seniors.
- C’est le temps de travail réel qui doit être pris en compte par La Poste. D’où l’importance du chantier «Normes et cadences » (cf. interview).