Avec toutes ces acquisitions/rachats de filiales, le recours massif à la sous-traitance, les nouveaux services autour de la logistique mais aussi l’adaptation de l’outil industriel, on voit que La Poste nourrit de grandes ambitions industrielles et logistiques. La force du réseau postal national, le savoir-faire des postiers, tout cela peut nous laisser penser que La Poste est un colosse. Mais n’est-elle pas un colosse aux pieds d’argile dans un marché hyperconcurrentiel, souvent loin des règles et des garanties sociales que l’on est en droit d’attendre ?
Le marché du Colis a vu une explosion sans précédent, mais derrière cette activité, il y a des postières et des postiers. Tout développement et autre montage stratégique ne doit pas se faire sans l’intégration de toutes et tous. Entre enjeu économique et social, il semble que La Poste prend une direction loin des attentes de tous ses agents.
LE VIRUS QUI ACCÉLÈRE LA DIGITALISATION
En 2020, l’actualité a été dominée par l’explosion du trafic Colis avec l’envolée du e-commerce, conséquence de la crise sanitaire et des confinements successifs. 42 millions d’internautes ont ainsi effectué des achats en ligne au cours du premier trimestre 2020. 90 % d’entre eux ont même effectué de 1 à 3 commandes par semaine (contre trois par mois en 2019).
La croissance attendue pour le e-commerce international pourrait passer de 300 milliards de dollars en 2015 à 900 milliards en 2020, soit une progression deux fois plus importante que le commerce domestique en ligne. Selon l’étude réalisée pour le groupe DHL, ce sont les coûts de transport en forte baisse qui favorisent cette explosion du e-commerce transfrontalier. Le consommateur se voit proposer plus d’offres et des marchés spécifiques (culturels, culinaires, technologiques…).
En France, ce ne sont pas moins de 200 000 sites e-commerce (10 fois plus qu’il y a 10 ans) qui peuvent potentiellement proposer leurs produits et services à l’étranger. Néanmoins, les sites français et allemands restent timides dans leur rapport aux marchés extérieurs : avec 3 % de sites enregistrant un trafic international supérieur à 15 %, les deux moteurs européens restent loin derrière l’Espagne ou le Royaume-Uni où près de la moitié des sites web marchands enregistrent des visites internationales.
À l’export, seuls 15 % des colis sortant de France sont des envois B2C (professionnels à clients), c’est-à-dire résultant d’un achat en ligne. C’est une marge de manœuvre importante pour les entreprises françaises, puisque les livraisons à l’étranger sont désormais facilitées par les nouveaux acteurs.
Comparateurs de prix, services personnalisés, délais de livraisons à J+1 ou J+2, offres pour les vendeurs en marketplaces…, les opportunités ne manquent pas pour accroître sa clientèle internationale. Qui plus est, le secteur est vecteur de créations d’emplois. La Poste profite bien évidemment de cette accélération. Ainsi, elle a vu son chiffre d’affaire Colissimo, « Business Unit » au sein de la Branche Services Courrier Colis, progresser de plus de 10 % au premier semestre 2020 pour atteindre 981 millions d’euros avec, depuis avril 2020, une hausse de 17,6 % des volumes distribués.
ET CHEZ LES CONCURRENTS DE LA POSTE, QUE SE PASSE-T-IL ?
Dans le contexte de ses très médiocres performances sociales, Amazon occupe depuis la pandémie une position de marché renforcée qui constitue une menace pour nos économies et nos sociétés. L’influence d’Amazon se fait sentir bien au-delà du secteur de la distribution. Ce géant de la technologie est non seulement une force commerciale de la distribution physique des produits d’épicerie, de la pharmacie mais il ambitionne également de se développer dans les réseaux sans fil, les soins de santé et la fourniture de services Internet. Amazon est une menace pour les travailleurs, remet en cause les libertés syndicales et annihile la diversité du marché.
Amazon contrôlait déjà 50 % du marché du commerce électronique aux États-Unis, et durant la crise de la COVID-19, le trafic sur Amazon.com a progressé de 20 %, alors que par exemple, la livraison de produits d’épicerie à domicile explosait de quelques 90 % quand les magasins physiques étaient temporairement fermés dans un grand nombre de pays.
Après avoir renforcé sa position et face à la crise économique, Amazon s’est bien positionné pour effectuer, à des prix dérisoires, des acquisitions destinées à neutraliser la concurrence (Deliveroo).
Non content d’absorber une part de marché de plus en plus grande, Amazon bénéficie aujourd’hui encore d’un autre avantage compétitif : une capacité « d’évitement fiscal » exceptionnellement agressif. Ces six dernières années, l’entreprise n’a payé que 7,8 milliards de dollars d’impôts sur le revenu, soit 11 fois moins qu’Apple et 4,4 fois moins que Microsoft ou Walmart. En Europe, elle ne paye pratiquement pas d’impôts; au contraire ces deux dernières années, Amazon Europe a bénéficié de crédits d’impôts pour plus d’un demi-milliard d’euros.
Autre géant du e-commerce, Alibaba semble poursuivre sa conquête de l’Europe, et en particulier de la France. Après plusieurs partenariats avec des entreprises, comme La Poste ou encore Relais Colis, le rival d’Amazon veut désormais aller plus loin, avec l’ouverture d’un centre logistique dans l’Hexagone. Rien ne semble arrêter le développement européen de la société chinoise. En août dernier, Alibaba avait ouvert son premier magasin physique à Madrid. L’entreprise a également fait construire des bâtiments en Belgique, sur le site de l’aéroport de Liège, qui devraient être opérationnels d’ici mi-2021.
Alibaba figure désormais au 14e rang des commerçants en ligne les plus consultés, juste après Darty et Rakuten. Pour le moment, les délais de livraison peuvent atteindre plusieurs semaines, le temps que les produits soient acheminés dans l’Hexagone. Le site de Liège répondra à ces questions comme le magasin éphémère avec un espace dédié aux prestations des influenceurs, dont le géant chinois veut accélérer le développement en France pour animer les ventes.
En attendant, ces douze derniers mois, et ce, malgré les restrictions imposées par la pandémie, Alibaba se vante d’avoir pu engranger « environ 1 000 milliards de dollars sur sa plateforme de marché », dépassant largement Amazon et pouvant ainsi prétendre lui ravir son A dans la bande des 4 GAFA (Google Amazon Facebook Apple).
PLUSIEURS VOIES POUR LE MÊME SERVICE RENDU
En 2020, Colissimo représentait 445 millions d’objets traités. Le trafic estimé pour 2025 est de 600 millions pour atteindre potentiellement le milliard en 2030. Cependant avec aujourd’hui 14 % du chiffre d’affaires, cette activité ne compense pas la perte du CA du courrier traditionnel qui, lui, a affiché un repli de près de 20 %, soit 950 millions d’euros de perte. L’activité historique, et de surcroît une mission de service public, ne pèse plus qu’environ 18 % dans le chiffre d’affaires du Groupe.
PAR LE BIAIS DES FILIALES…
18 % du CA pour le courrier traditionnel, 14 % pour Colissimo et… 35 % pour le trafic international. Branche dédiée à la livraison du colis express de moins de 30 kg, la holding GeoPost/DPD Group est le premier réseau de livraison en Europe avec 5,3 millions de colis livrés par jour.
Cette puissante organisation repose sur des filiales telles Chronopost, SEUR en Espagne ou encore BRT en Italie. La stratégie de La Poste est basée sur une politique d’acquisitions permettant à GeoPost de s’implanter en Russie, au Brésil, en Afrique du Sud, en Turquie ou encore Asie du Sud-Est qui sont les marchés les plus dynamiques du colis express.
Au-delà du réseau, il y a également la forme que prend le colis. Avec par exemple l’acquisition de Delifresh et Biologistic, Chronopost livre aujourd’hui les produits alimentaires et de santé en température dirigée y compris en Espagne (SEUR) et en Belgique (DPD). L’offre s’accompagne également de services adaptés : choisir l’heure et le lieu de livraison de son colis, suivre l’acheminement en temps réel ou encore retirer ses marchandises dans l’un des 46 000 points relais Pick-up.
…ET L’EXPLOSION DE LA SOUS-TRAITANCE
Bien que le marché du colis soit en plein essor et malgré sa stratégie ambitieuse et ses services sur mesure, La Poste est cependant prise en étau entre son modèle social et le « toujours plus vite, toujours moins cher » de ses concurrents. Le Groupe a bien évidemment une longueur d’avance dans les métiers de la distribution avec son maillage territorial et le savoir-faire des postiers. Mais la concurrence est telle, avec notamment Amazon ou Alibaba, que Le Groupe fait parfois des choix très discutables. Ainsi le recours à la sous-traitance et aux intérimaires amène La Poste à un « moins-disant social » mais aussi à une dégradation de sa qualité de service.
FO Com dénonce ce recours, particulièrement dans les agences colis d’Île-de-France où la sous-traitance peut représenter jusqu’à 80 % du personnel. Les élus FO Com ont récemment rappelé lors du comité de Groupe GeoPost le danger de l’ubérisation des métiers de la livraison en soulignant les conditions de travail d’un autre âge des étudiants auto-entrepreneurs de la filiale STUART.
D’une manière générale, les conditions de travail sont parfois si déplorables, y compris dans les plateformes de distribution « maison-mère », que cela risque d’affaiblir La Poste elle-même, voire de la mettre en difficulté avec une qualité de service dégradée, des personnels sous tension ou encore des règles d’hygiène et de sécurité non respectées.
PEAK PERIOD : LA RÉALITÉ SE CONJUGUE À L’IMPARFAIT
La période de fort trafic de fin d’année, appelée « Peak Period », est un bon exemple. Bien-sûr, elle a été inédite de par la crise sanitaire et l’explosion du commerce en ligne. Il n’empêche que lorsqu’il faut pallier des difficultés supplémentaires et faire face à l’imprévu, il vaut mieux avoir « les reins solides ».
Durant cette Peak Period, plus de 130 millions de colis ont été traités en novembre et décembre, soit 60 % de plus qu’en 2019. Le réseau postal a, par exemple, fait transiter et distribuer 19,3 millions de colis en une semaine contre 12,8 en 2019 sur cette même semaine, le record étant de 4,1 millions de colis sur la seule journée du 16 décembre.
Les plateformes de distribution se sont vues ainsi submergées par des milliers de colis empêchant le respect des mesures barrières et des règles élémentaires de sécurité. Les véhicules, non adaptés, ont obligé les facteurs à doubler voire tripler leurs trajets par des allers et retours supplémentaires.
Les conditions de travail ont été telles que FO Com a alerté la Direction de La Poste, l’obligeant à mettre des renforts. Bien qu’insuffisants, ces moyens ont permis de desserrer l’étau.
Témoignage
Cette année, j’ai vécu la pire « Peak Period » de toute ma carrière à La Poste, avec l’augmentation du colis, plus rien n’a collé avec l’organisation d’avant COVID. Avec les collègues on avait l’impression qu’on n’en verrait jamais le bout, tous les jours entre 100 et 130 colis, en plus du courrier. Ma voiture était trop petite, à un point où je faisais trois allers-retours au bureau pour la recharger et parfois sans bénéficier de renforts.
Quand mes vacances sont arrivées, je me suis écroulée de fatigue mais en pensant que cela allait s’arranger à mon retour.
Pas du tout, ce n’est qu’en février que La Poste a mis en place un groupe de travail pour réorganiser le chantier colis. Les gestes barrières dans mon bureau n’ont tenu que très peu de temps, c’est tellement la course, le bureau est tellement petit qu’au bout d’un moment plus personne ne fait attention…
Témoignage de Christelle, factrice tournée mixte (tournée lettres et colis) illustrant les difficultés et le quotidien de la Peak Period 2020
RECONNAÎTRE LES POSTIERS N’EST PAS UNE PRIORITÉ…
Au-delà de la dégradation des conditions de travail et d’emplois, la reconnaissance salariale est également en berne. Le résultat de la dernière négociation salariale en est la preuve. Avec une augmentation générale de 0,2 %, les salariés, une fois de plus, ne verront pas leur pouvoir d’achat augmenter de façon significative. D’autant qu’aucun intéressement ni « prime Covid » ne sont prévus. Bien que ces personnels aient répondu présents pour absorber un trafic hors normes, ils restent les agents de « première ligne » de La Poste avec les conditions de travail les plus pénibles (charges, aléas de la météo…) et les salaires les plus bas.
La Poste avance toujours les mêmes arguments pour justifier cette situation : les volumes du colis ne compensent pas la baisse du courrier qui s’est accélérée avec la crise sanitaire, ce qui fait perdre de l’argent à La Poste. Nonobstant cet argument, nous rappellerons toutefois que malgré cette période économique compliquée, son résultat net est positif de plus de 2 milliards d’euros. Toutes les entreprises ne peuvent pas en dire autant ! Cela dit, jusqu’où La Poste va-t-elle aller dans son raisonnement ? Car le Courrier va continuer de baisser et les nouveaux services (509 millions d’euros de CA en 2020), notamment les services à la personne, sont encore loin de compenser le manque à gagner de l’activité Courrier Colis (-1,130 milliard).
On ne pourra pas indéfiniment faire subir aux postiers, maison-mère ou filiales, les changements et restructurations sans contrepartie financière, sans perspectives de carrière et plus globalement sans donner du sens aux métiers et d’appartenance à l’entreprise.
Recourir à la sous-traitance et donc surfer sur la précarité de l’emploi, faire de la disette salariale une stratégie de développement, ne sont pas dans les pratiques d’une entreprise citoyenne. La Poste mérite mieux que de copier Amazon. Son histoire en fait une grande entreprise avec des valeurs que sa raison d’être, juste dévoilée, vient nous rappeler. De plus Le Groupe a les capacités de faire autrement et ainsi se détacher d’un modèle qui prône l’ubérisation des métiers, il doit se différencier par le haut.
COMBINER SERVICES ET ÉCOLOGIE : L’INCONNUE DE L’ÉQUATION RESTE L’ANGLE SOCIAL
L’intervention du Président de La Poste devant les maires de France le 4 février dernier va, pour FO Com, dans ce sens. Le PDG a en effet demandé la révision du contrat de présence postale territoriale sans attendre sa renégociation prévue en 2022 pour « inclure dans l’avenant du contrat les conditions de distribution du Courrier et du Colis ainsi que la définition de nouveaux services […]. »
En intégrant le Colis et les nouveaux services dans le Service Universel, La Poste se donne un avantage concurrentiel en termes d’éthique citoyenne et donne ainsi aux clients le choix entre 2 modèles.
En matière d’écologie, La Poste montre également sa volonté de « faire autrement ». L’ensemble de la « logistique urbaine » est un enjeu pour Le Groupe, depuis l’enveloppe à la palette, puisque 73 % de la population en Europe vit en ville. La Poste détient une des plus importantes flottes mondiales de véhicules électriques, dont 10 000 véhicules utilitaires légers. À ce jour, ce sont 19 métropoles françaises qui bénéficient d’une desserte par des dispositifs à faible émission de gaz à effet de serre (GES). En Europe, grâce à la filiale URBY, 225 métropoles européennes seront desservies en 2025 en zéro émission de GES. L’urgence climatique et la transition à venir vont accélérer la nécessité d’échanges « décarbonés ». On voit bien que La Poste entend jouer son rôle prépondérant d’entreprise responsable en France et en Europe.
Alors ce que l’on peut faire en matière d’écologie, pourquoi ne pas le faire dans le domaine social ? Pour FO Com, cette politique environnementale doit s’affirmer également en développant un modèle social responsable. À l’heure où beaucoup rêvent du « monde d’après » avec une consommation responsable, locale, écologique, les citoyens doivent pouvoir disposer d’un modèle de messagerie, de la commande à la livraison, qui respecte les hommes et les femmes comme le droit du travail. La Poste garderait ainsi son étiquette d’entreprise citoyenne, avec un modèle social digne de son histoire et se démarquerait des autres. À elle, alors de valoriser ces atouts et de défendre sa différence. À nous tous, citoyens, de choisir.
Pour nous FO Com, ce choix est fait et nous le défendrons auprès des citoyens.